Le premier de tous les combats aériens

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AV_Kasp
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Le premier de tous les combats aériens

Message par AV_Kasp »

En ce lundi 5 octobre 1914, vers 8h du matin, un biplan aux couleurs françaises survole Reims à 2000m d'altitude. Il revient des lignes allemandes, où il a lâché quelques obus de 90 sur les rassemblements ennemis signalés derrière le fort de Brimont.

C'est un Voisin de l'escadrille V24 (à l'époque, les escadrilles reprennaient les initiales des constructeurs de leurs avions), commandée par le Capitaine Faure.

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Un bimoteur en fait assez lourd, peu maniable, mais très stable et sûr pour l'époque. Avec un moteur de sept cylindres en étoile développant 110 CV, il se déplace en palier à 90-100 km/h. Il met 25 minutes pour atteindre 2000m.
Rustique, le Voisin de Frantz arbore le n°89 sur son gouvernail de direction. Il est piloté par le sergent Frantz, tandis que le mécanicien Quénault l'assiste. Il y a quelques minutes, c'est lui qui s'est débarassé des projectiles qu'il avait jusque là à ses pieds, à même le plancher de la carlingue. Il les a lancé à vue, en n'oubliant pas de les dégoupiller avant de les jeter par dessus bord.

Mais après avoir rempli leur objectif, les Français restent encore haut dans les nuages. Ils scrutent attentivement le ciel, s'il n'y aurait pas quelques avions allemands dans les parages. Certes, ils sont à bord d'un bombardier, mais leur âme est celle d'un chasseur. Ils ne se résignent pas à la pensée générale qui règne depuis l'entrée en guerre, il y a deux mois : deux avions ne peuvent se battre !

Jusqu'à maintenant, toutes les rencontres furent plutôt courtoises. Les équipages ennemis qui se croisaient se saluaient d'un hochement de casque, voire même d'un geste de la main. Ils tentaient aussi d'appréhender l'avion ennemi, d'analyser où se trouvait le moteur, les hélices, l'équipage pour ensuite rentrer chez soi et en rendre compte.

Par deux fois déjà, Quénault avait ouvert le feu sur un avion allemand, avec un mousqueton de cavalerie, sans aucun résultat. Le Voisin étant un bombardier, ils pouvaient se permettre d'alourdir l'avion en emportant une arme. Elle fut d'ailleurs remplacée par une mitrailleuse Hotchkiss de 7mm, de type infanterie, lorsque le Capitaine Faure fut mis au courant des envies de l'équipage. Six Voisin en furent équipés, malgré la réponse de l'Etat major français :
"Travail très intéressant qui dénote de la part de l'officier qui l'a conçu un esprit de recherche qui mérite d'être encouragé, mais qui tient beaucoup plus du Jules Verne que de la réalité. La guerre aérienne envisagée est encore bien loin de pouvoir se produire."
Trois jours plus tard, les mitrailleuses étaient fixées sur un trepied en tubes d'acier.

Frantz sonde le ciel à la recherche de la tâche qui fait mouche. C'est déjà un vieux pilote, de 22 ans. Son brevet a trois ans ! Il ne va pas falloir tarder à rentrer, le Voisin commence à manquer d'essence. Mais le ciel n'est pas vide. En effet, Frantz sursaute en apercevant une blancheur au loin, sur la droite. Au dessus des terres aux teintes automnales, à 2200m, le Voisin change de cap. La tâche blanche semble bien bouger. C'est un avion, un biplan ! Et en plus un "boche" ! Pas un avion français n'est entoilé en blanc de cette façon.
Le Voisin part en piqué prononcé, à tel point que l'avion gagne... 20 km/h ! Les commandes vibrent à tout va et les haubans d'acier sifflent, mais Frantz reste concentré. L'Allemand n'est pas loin, à 800m peut être, et il faut s'en approcher, surtout qu'il regagne ses lignes ! L'avion français se rapproche par la droite, il s'agit d'attaquer par derrière. En effet, tous les avions allemands sont construits de la même façon : moteur et hélice à l'avant, puis le passager, puis le pilote. Si jamais le passager est armé, il ne pourra tirer ni vers l'avant, ni vers l'arrière. La seule approche laissant du temps pour viser est par l'arrière. C'est donc ce que fait le Voisin.

L'avion ennemi est un Aviatik.

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Les Français se rapprochent à moins de 100m, et voilà que l'équipage allemand les a aperçu ! Aussitôt, le pilote allemand jette son avion sur la gauche, en plein vers les lignes françaises ! Le combat aura lieu au dessus de la France, ce que voulait Frantz. A 1900m, l'Aviatik cercle large par la gauche et vomit un hoquet de vapeur bleuâtre, le pilote venant d'ouvrir les gaz en grand. Mais le Voisin profite de son altitude supérieure pour se rapprocher. Voilà qu'ils se trouvent à moins de 50m de l'ennemi. Quénault a engagé un chargeur dans la culasse de la Hotchkiss.

Surprise ! L'équipage allemand prend les devants ! Le passager tire avec... une mitrailleuse ? Non, une carabine à répétition ! Ouf, les balles passent à côté. Frantz cale son avion juste derrière l'empennage de l'Aviatik, obligeant le passager allemand à cesser le feu ! A moins de 20m, Quénault ouvre le feu avec sa mitrailleuse, en tirant au coup par coup. En effet, son arme n'est pas encore au point, et s'enraille immédiatement dans les rafales. Il n'a aucune correction à faire, vise et appuie sur la détente.

Mais il n'y aucun impact ! Les balles ne traversent guère que les cieux, et Quénault vient déjà de brûler un chargeur de 25 cartouches ! Si seulement quelques balles étaient incendiaires, l'Allemand aurait déjà le feu aux fesses !

L'Aviatik se remut ! Il parvient par deux fois à s'arracher du Voisin. Mais à chaque fois, Frantz retrouve la queue de l'appareil ennemi. Dans toutes ces évolutions, Quénault a dû recharger la mitrailleuse. En sueur, il est enfin de nouveau en position de tir. Les balles quittent à nouveau le canon français. Il faut viser plus haut ! L'équipage allemand est bien visible, tout comme le réservoir d'essence !

Plusieurs minutes de combat, et toujours rien ! Les Français n'auront pas cet Aviatik ! 46ème cartouche, et toujours aucun signe de dégât ! A la 47ème, la mitrailleuse s'enraille ! Sans perdre son sang-froid, à 20m derrière les hélices allemandes, le mécanicien de la V.24 se met debout malgré les remous, et démonte la culasse de la mitrailleuse.

A cet instant, l'Aviatik se cabre d'un coup et monte en chandelle, droit vers le ciel. Il demeure là haut, immobile, pendant une seconde, avant de basculer lentement sur le dos. L'appareil allemand tombe vers le sol comme une grande feuille morte, dans des mouvements désordonnés et sans direction apparente. Le pilote a certainement été tué. Peut être le passager est-il encore vivant, mort atroce s'il en est, à venir... Frantz et Quénault diront qu'ils ont ardemment souhaité que tous deux aient succombé sous leurs balles.

L'Aviatik était désemparé. Plongeant, remontant, les roues en l'air, il finit par s'écraser en lisière des marécages de la Vesle, non loin de Jonchéry. Une clameur retentit aussitôt... Des milliers de spectateurs, au front, avaient vu le combat aérien. Des tranchées et des villages, les Français acclamèrent les pionniers à bord de leur Voisin.

Frantz pose son avion près de sa victime, et déjà une foule s'amasse près de l'incendie. A côté de l'appareil détruit reposent deux corps carbonisés, encore fumants. Wilhelm Schlichting, 33 ans, et Fritz Von Zangen, 41 ans. Sur lui, on a trouvé une lettre qu'il écrivait à sa mère... Daté de la veille, il pensait sûrement la poster au vaguemestre de son unité. Elle parviendra malgré tout à sa destinataire, par les services des aviateurs français et de la Croix-Rouge de Genève...

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AV_Lampatex
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Message par AV_Lampatex »

Superbe!
Aussi bon que les gars du Kościuszko Squadron ... c'est beau de rever !!!

Light travels faster than the speed of sound, this is why some people tend to appear bright, until they decide to speak.

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AV_Warpig
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Message par AV_Warpig »

Passionnant récit, Kasp... Merci ! :D
Dans le cochon, tout est con...

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AV_LOUL
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Message par AV_LOUL »

Beau récit !
Par contre pour jouer ça va falloir mixer Call of Duty et IL2 pour pouvoir utiliser une carabine dans nos avions !

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AV_Riri
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Message par AV_Riri »

Très chouette réçit, merci Kasp :)

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