Histoire...

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AV_Waroff
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Message par AV_Waroff »

http://1940lafrancecontinue.org/index.htm a écrit :

1er décembre 1941

Marseille

Aux petites heures du matin, quatre hommes cagoulés et armés de pistolets font irruption de force dans le cadre douillet des Demoiselles de la Garde, maison de tolérance réputée, régulièrement fréquentée par la crème de la garnison allemande… C’est du moins ce que Madame Antoinette, qui dirigeait le bordel en question d’une main de fer (dans un gant du plus fin chevreau), devait raconter le jour suivant aux enquêteurs du SD et de la Gestapo.

Il y avait cette nuit-là huit Allemands sur place : un général (de brigade, mais un général quand même), un colonel, un lieutenant-colonel SS, trois commandants, un capitaine (les Demoiselles étaient très chères pour la solde d’un capitaine, mais celui-ci était d’une famille riche) et un lieutenant (les Demoiselles étaient hors de portée de la bourse d’un lieutenant, mais c’était l’ordonnance du général, qui l’avait invité pour le récompenser).

Commençons par le haut de la hiérarchie.

Le Général appréciait les filles des Demoiselles, mais il appréciait au moins autant l’excellent champagne qu’on y servait. De plus, ayant connu des filles et des bouteilles en grand nombre, il aimait aussi bavarder avec l’un des autres clients de la maison, quand celui-ci s’avérait intéressant. « Un verre à la main, une fille câline de chaque côté, un cigare odorant au bec et une conversation originale avec un homme de goût, c’est mon idée du Paradis ! » disait-il.

Son interlocuteur de cette nuit-là lui donnait toute satisfaction. C’était un homme d’une bonne cinquantaine d’années, à la calvitie distinguée, qui portait un complet gris élégant et ne se séparait pas d’une sacoche en cuir noir. Seule note discordante dans ce tableau très chic, une pointe d’accent que le Général (qui avait appris un excellent français au lycée… et en camp de prisonniers, durant l’autre guerre) n’arrivait pas à identifier exactement. Monsieur Fratello (c’est ainsi qu’il s’était présenté) était l’un de ces hommes d’affaires qui, ayant jaugé les forces en présence et les possibilités de faire prospérer leurs avoirs, avaient décidé de « collaborer » pleinement (comme disait Pierre Laval) avec l’Allemagne, pour le plus grand profit de chacun. Le Général aimait la façon dont il racontait son enfance dans un petit village et son ascension dans le monde, guidé par les maximes paternelles. « Mon père, disait M. Fratello, m’a appris que l’argent mène les hommes – et les femmes, bien entendu, haha – et qu’il faut savoir en conquérir sa bonne part pour ne pas être mené, mais meneur, sans avoir peur de prendre ses responsabilités et de se salir les mains quand c’est nécessaire. »

– Un homme remarquable, votre père. Avec des gens comme lui – et comme vous – l’amitié franco-allemande pourra renaître ! Habite-t-il toujours votre village natal ?

– Hélas, mon Général, il est mort il y a quelques semaines, dit Fratello en plongeant la main dans son sac. Il en sortit un brassard noir, qu’il enfila aussitôt.

Un peu surpris par ce deuil soudain, le Général se dandina sur son canapé et bafouilla : « Quel malheur pour vous… »

– Oui, n’est-ce pas. Et quel malheur pour vous aussi, Herr General. Car, voyez-vous, mon père m’a également appris qu’il y a deux choses au monde plus importantes que l’argent. L’Honneur et la Famille.

Sur ces mots, il rouvrit son sac noir pour en extraire un pistolet tout aussi noir et d’autant plus impressionnant qu’il était muni d’un silencieux. Posément, il tira deux fois. Le Général s’effondra sur le canapé sans avoir compris ce qui lui arrivait. « Fratello » se pencha par dessus la table pour le coup de grâce : il avait appris le métier avec les meilleurs et ne laissait rien au hasard. Puis, il prit dans son inépuisable sac une cagoule qui avait jadis beaucoup servi et l’enfila, avant de s’adresser aux deux filles encadrant le mort, qui s’étaient recroquevillées sur elles-mêmes dès l’apparition du brassard de deuil et gardaient à présent les yeux énergiquement fermés.

– Cinq bonnes minutes avant de hurler, hmm? Et moi, je suis parti depuis une demi-heure.

Les filles hochèrent vigoureusement la tête.

… … … … …

Le Colonel avait le béguin pour Pauline. Client régulier, il ne voulait qu’elle. Son corps mince, ses yeux sombres et ses cheveux noirs comme une nuit sans lune, si différents de ceux de la solide épouse blonde qui l’attendait à Mannheim, le hantaient chaque fois que les nécessités du service l’obligeaient à coucher dans ses quartiers. Il se demandait quel tarif réclamerait Madame Antoinette pour lui réserver l’exclusivité des charmes de l’adorable brune, et comment faire pour en profiter plus souvent… Cette nuit-là, ayant une nouvelle fois connu des plaisirs qu’il n’avait jamais imaginés avant la guerre, il lui souffla, dans un français fort correct, qu’elle était la plus belle femme du monde.

– Oh non, dit-elle en rosissant légèrement. J’en connais au moins une plus belle.

– Impossible, chérie! Qui?

– Ma petite sœur, tout simplement. Lætitia. Je l’adore, tu sais. Même si, à 18 ans, elle était déjà beaucoup plus belle que moi. Aucun homme ne pouvait lui résister.

– Et maintenant?

– Maintenant… Tu veux la voir?

Le Colonel approuva, des visions enchanteresses lui montant au cerveau. Pauline se leva – un spectacle en soi – et, sans prendre la peine d’enfiler un peignoir, ouvrit le tiroir d’une table de nuit. Mais au lieu des photos espérées, elle en tira un pistolet automatique, non le petit modèle à crosse de nacre pour actrice de film américain, mais un engin assez sinistrement sérieux pour être anglais, et qui faisait totalement incongru entre ses petites mains si habiles à toutes sortes d’autres jeux.

– Quand tu seras là-haut, dis-lui bonjour de ma part.

La dernière pensée du Colonel fut qu’une Pauline dont la sœur s’appelait Lætitia devait forcément être corse et que ça expliquait…

Bien qu’assourdis par les murs épais et les lourdes tentures, les coups de feu parurent provoquer l’apparition de “Fratello” dans la chambre. Pauline lui tendit le Browning avec un soupir.

– Merci de m’avoir laissé tirer, Grand Frère. Je me sens un peu mieux, même si celui-ci n’était pas le pire.

… … … … …

Le Lieutenant-Colonel n’était pas comme les autres. Son uniforme n’était pas vert, mais noir, avec des sortes d’éclairs doubles par-ci par-là. Il parlait beaucoup de son Führer, de la Nouvelle Europe, et au meilleur moment (pour lui), il s’écriait souvent « Heil Hitler ! » Mais bon, ça ne dérangeait pas Françoise, qui en avait vu d’autres (et qui, de toutes façons, ne s’appelait pas Françoise, mais le Lieutenant-Colonel voulait une Françoise, comme, avant la guerre, un amateur de cinéma avait voulu une Fanny). Et puis, avant de passer aux choses sérieuses, le Lieutenant-Colonel fermait la porte à clef et coinçait une chaise sous la poignée. Dans un français plus que boiteux, il avait raconté à Françoise qu’il ne pouvait plus « aller avec une femme » sans cela, depuis que, quelques années avant, il avait liquidé des ennemis de son Führer, des Allemands eux aussi, pourtant, pendant qu’ils se livraient à toutes sortes de débauches. « Moi, disait-il, je veux bien crever, mais pas dans cette… position. »

Bien sûr, Françoise ne lui avait pas dit que toutes les chambres possédaient une porte de service dissimulée par des tentures. Cette nuit-là, quand un homme cagoulé en surgit, pistolet au poing, le Lieutenant-Colonel fit un grand geste, mais c’était plus un mouvement d’horreur pour chasser un mauvais rêve ou un fantôme qu’une tentative pour se défendre.

« On n’échappe pas à son destin, philosopha Ginette (en fait, elle s’appelait Ginette, comme tout le monde). Surtout quand, d’une certaine façon, on l’a préparé soi-même… »

… … … … …

Les trois commandants moururent sans fioritures. Le capitaine et le lieutenant…

… … … … …

Dans la petite rue où donnait la porte de derrière des Demoiselles, attendait une Traction. Presque en même temps, trois hommes, tous porteurs d’un brassard noir, surgirent de l’immeuble et s’engouffrèrent dans la voiture, “Fratello” le premier. Mais ils durent patienter plusieurs minutes avant qu’un quatrième, un grand escogriffe dégingandé, sorte à son tour et les rejoigne. La Citroën démarra avec un grondement énervé. La conversation qui suivit se déroula en corse mais, tous nos lecteurs ne lisant pas couramment cette langue, nous avons pris la liberté de traduire (sans pouvoir, malheureusement, y ajouter l’accent).

– Bon sang, Tino ! Il te faut combien de temps pour liquider un capitaine et un lieutenant ?

– Ben, Grand Frère, liquider, ça va, tu me connais… Mais c’est les deux prières qui m’ont pris du temps…

– Les deux QUOI ?

– Les prières ! D’abord, après le lieutenant, pour l’âme de Maman. Et après le capitaine, pour l’âme de Papa.

Il y eut dans l’auto un instant de silence laudatif et ému. Grand Frère toussota, la gorge un peu serrée :

– Satané Tino, Maman disait bien que tu étais le plus sentimental de la famille.

Encouragé, Tino se lança:

– Au fait, Grand Frère, je sais que c’est pas mes affaires, mais quand les flics et les Boches vont voir les huit macchabées, ils trouveront bien dans les dossiers de la Maison Poulaga que les Demoiselles appartiennent à la famille Garneri, que la famille Garneri, c’est nous, et que la Famille vient de La Maddalena, et ils doivent bien savoir ce qui s’est passé là-bas… Alors, est-ce qu’on ne devrait pas penser à se casser vite fait ?

Grand Frère poussa un soupir.

– Ecoute, Tino, normalement je te dirais de t’occuper de tes oignons, mais aujourd’hui, ce n’est pas un jour normal, c’est un jour de vendetta… Voilà. Vous vous souvenez tous du cousin Hector ?

– Hector ? s’exclama Tino. Celui que le Papé avait dit qu’il voulait plus qu’on prononce son nom parce qu’il était devenu flic ? Comment que j’m’en souviens ! Il nous parlait toujours de justice, de paix, d’ordre – il disait qu’il était idéli… i-dé-a-liste.

– C’est ça même, Hector. Hé bien, j’ai deux nouvelles. La mauvaise, c’est qu’il est toujours idéaliste. La bonne, c’est qu’il n’est plus dans la police, du moins plus vraiment, parce qu’à cette heure-ci, il est dans un sous-marin qui ne devrait pas tarder à arriver à Alger.

– Alger ? Qu’est-ce qu’il va foutre à Alger ?

– Hé, de l’idéalisme, sans doute. Mais l’important, c’est qu’il a deux grosses valises avec lui. Dedans, il a mis des tampons officiels, un stock de papiers d’identité vierges et tout un tas d’autres trucs. Et puis nos dossiers, tous les dossiers des flics sur la Famille. Aujourd’hui, pour les poulets, et surtout pour les poulets boches, nous sommes tous blancs comme neige. Et, au fait, Antoinette a des papiers qui prouvent qu’elle est seule propriétaire des Demoiselles depuis 1932.

Un nouveau silence laudatif s’installa dans la Traction. Mais Tino eut tout de même le dernier mot :

– Y’a pas à dire, Papa et Maman avaient bien raison. La Famille, il n’y a que ça de vrai.
il ne faut pas prendre la vie au sérieux, de toute façon, on n'en sort pas vivant...

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AV_Kasp
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Re: Histoire...

Message par AV_Kasp »

J'adore lire ce genre de texte !! :banane:

AV_Shane
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Re: Histoire...

Message par AV_Shane »

et ben, faisait pas bon aller faire sa petite affaire en ce temps la :oops:
Shane .Michel.

05/03/11 Ouais une longue attente, Nolhan a 9 mois maintenant.

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AV_partizan
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Re: Histoire...

Message par AV_partizan »

étonnante histoire !

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